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L’homme est encore couvert de sang…

 

A la faible lumière de la nuit, perçant au travers de nuages effilochés, il observe avec frayeur ses mains. Dans les sillons de ses ongles rongés, le sang, a séché en croûtes noirâtres. De manière incontrôlée, par gestes frénétiques, il en arrache avec ses dents encore rougies, avalant avec délectation, plaisir, rage et honte, ces excrétions solides. Ses doigts courent le long de ses lèvres, caressant ses dents dans des rictus d’envie, les yeux mi-clos, tournés vers la lune. Il tremble, les muscles tendus. Un sentiment de plénitude l’envahit, courant depuis son échine, un frisson le tétanise. Ses veines mortes sont gorgées d’essence de non-vie, vivace, bouillonnante, sève de plaisir coupable. Il est là quasi nu, il gît, entre les pierres et les herbes humides, dans l’odeur de feuilles mortes. Anonyme faune dans ce paysage, si cruel de prédation…

 

J’imagine sa nuit, parfaitement frénétique, perdu dans les envies de la bête qui s’est éveillée, courant, rugissant, étanchant sa soif sur le bétail. Une nuit bercée par le sang et les émotions les plus primales, dans l’inconscience de soi. Je me souviens de ces nuits, dans les vignes de mon enfance de la nuit. Cette sensation de bien-être juste avant le jour. A glisser ma langue sur mes dents pour y goûter encore, le sentir s’écouler en moi, cet élixir de folie. Et le visage parfaitement blanc de cette jeune fille, son regard figé dans le plaisir et la douleur à jamais, ses boucles blondes rougies et ternies par la terre. Son corps froid, étendu en offrande au milieu des raisins, gardant dans sa chair les marques de ma colère, si terrible, et si beau…

 

Lui aussi, est beau à cet instant…

 

Je l’observe depuis la fenêtre de mon Elyseum, depuis mon palais de faux semblants, faisant abstraction de l’agitation vénale et ambitieuse de ceux de mon espèce. Nul ne le remarque, tous sont affairés à faire s’entrechoquer les idées en quête de sens, de vices et de profits. Seul, je le contemple au travers du givre cristallin sur le verre. Les sons des voix et des messes basses virevoltent tels des angelots fous et grimaçants, sans aucun sens pour moi en cet instant béni. Le sang, tant vanté par les convives plus tôt dans la nuit, et qui emplit mon verre, est sans saveur. Ma gorge reste sèche. Le froid parcourt mes veines.

Je m’interroge et imagine qui il peut être… Le rejeton clandestin d’un de mes invités ? Un égaré, un proscrit d’un territoire lointain, comme nombre d’entre nous sur mon domaine ? Un enfant perdu sur le chemin de la croisade ? Un agneau blessé dans sa non-vie, venu se perdre au milieu des loups. Il parait innocent, alangui sur la terre blanchie par le froid, à contempler la beauté de la nuit. Il reste immobile, introspectif de ces nouvelles émotions et sensations de la soif sustentée. De celles qui s’estompent tant avec le temps…

 

Le goût du passé…

 

 

Et quel goût…

Je me gorge de son sang, il afflue dans mes veines, chaudes, et ravive la folie de mon corps mort, sur son passage. Je le sens perler le long de mon menton, alors que je tente d’en aspirer chaque goutte. Il est fort, tellement acre et chargé. Le sang d’un nouveau-né, teinté de son incompréhension, de sa surprise, et de sa peur. Il est encore chaud de ses dernières victimes nocturnes, encore légèrement chargé en substances du paradis artificiel. Lui, convulse sous le choc. Son corps se refroidit à chacune de mes aspirations, de mes morsures dans sa chair. Je draine chaque goutte avec force, et je sens sa non-vie doucement s’immiscer en moi, en toucher d’extase…

 

Son corps est mort, mais son esprit vivra à jamais, quelque part dans les nœuds aliénés de mon âme.

 

Dans d’autres circonstances, il se serait peut être présenté à moi, et n’aurait pas enfreint les lois de mon domaine. Nul ne se souviendra de lui, à part moi, quand par cette fenêtre de l’Elyseum, je regarderai au pied de cet arbre, ce tas de feuilles mortes…

Xavier Forneret, un homme heureux

Bienvenue sur le territoire d’Auxerre… ou les bannis, les exclus, les indésirables et les ambitieux s’exilent, et tentent de construire un monde à leur image…

Un monde où l’innocence est à l’image du paradis, à jamais perdue…

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