top of page

AMBIANCE : LA MALÉDICTION DES DAMNÉS

Tous les soirs, vous vous réveillez et quelque chose ne va pas. Vous avez soif.
Vous vous souvenez d’autres soirs, ceux d’une autre vie.
Vous vous réveilliez, la gorge parcheminée.

Vous marchiez sur le sol, la pierre froide sous vos pieds.

Vous avaliez de l’eau glacée, du vin âcre ou de la bière amère avec un morceau de pain et vous retourniez vous allonger. Vous sentiez les miettes entre vos dents.

La sensation rêche d’une bouche sale quand vous vous retourniez dans votre lit et tiriez les draps sur votre visage pour éloigner l’obscurité. Ces souvenirs semblent tellement lointains. Vous vous demandez toujours pourquoi vous vous donnez la peine de vous les rappeler. Vous vous réveillez et quelque chose ne va pas. Vous avez soif. Vous êtes seul. Vous faites rouler le mot « soif » dans votre bouche. Il est collé là,  comme un mot que vous connaissez et que vous essayez de traduire dans une autre langue, sans y parvenir.  La traduction perd quelque chose. Elle reste coincée dans votre gosier. Votre bouche est sèche. Elle est souvent sèche.

 


« Soif » est le mot le plus proche que vous trouvez pour décrire la sensation. Mais ce n’est plus seulement votre gorge qui est asséchée. Vous êtes parcheminé, desséché de l’intérieur. Pourtant, vous êtes tellement supérieur à cette créature qui désirait de l’eau et du vin. Plus rapide, plus fort, plus intense, plus affûté. Mais un gouffre s’est ouvert en vous.

La Soif vient de l’intérieur. L’exigence. Elle crie le prix de votre existence, le désir de votre cœur immobile. Elle hurle. Besoin. Peut-être que « besoin » est une meilleure description. Mais vous vous accrochez au mot « soif », car celle-ci peut être étanchée. La soif donne l’espoir d’être satisfaite.


Vous êtes éveillé. Quelque chose ne va pas. Vous avez soif. Vous avez bu hier. Votre bouche n’était pas sèche. Elle était humide, collante et chaude. Vous vous êtes souvenu que, lorsque vous étiez vivant, vous haletiez, vous frissonniez, vous transpiriez pendant la jouissance.
À présent, vous ne respirez jamais, ne frissonnez jamais, ne transpirez jamais. Vous avez soif. Maintenant, vous avalez. Vous volez la vie de ce malade au bord d'un lit de camp solitaire. Vous chassez les rats qui s'installent entre les tas de taules insalubres. Un coup d’œil derrière votre épaule. Personne. Car, au final, vous êtes toujours seul.
Éveillé. Assoiffé.
Hier.
Aujourd’hui.
Pour l’éternité.

Si vous aviez encore de la salive, celle-ci emplirait votre bouche. Vous seriez en train de baver. Le camp en est bondé. Ils fourmillent comme des insectes avides de survie. Certains portent des torches, certains ont des destinations, d’autres errent. Ils portent des gris-gris ou de l'or. Les pendentifs ne masquent jamais l’odeur de leur peau sale et chaude, ou celle, plus profonde et chaude encore de leur sang, avec son parfum lourd et entêtant. Leur peau est si douce, si fine. Elle ne peut pas masquer la fragrance de ce que vous voulez leur prendre. Leurs yeux virent tous au même endroit tôt ou tard. Une lueur farouche dans une pupille noire, qui darde vers les murs hérissés de barbelés.


Les maisons en sont pleines. Ils se cachent derrière des bâches. Ils suspendent leurs grigris sur les seuils. Ces babioles ne vous font jamais hésiter. Elles ne peuvent pas vous dissuader. Elles ne vous rassasient pas, donc elles ne peuvent pas vous arrêter. La chaleur du bidonville est celle des gens à l’intérieur. Vous voulez engloutir cette chaleur, en imbiber le fond de votre être.
Lorsque vous leur parlez, la Soif se réveille à l’intérieur. Le gouffre s’élargit, et vous avez envie de vous laisser chuter pour laisser faire la Bête qui est en vous. 


Vous avez trouvé quelqu’un. Vous avez trouvé des raisons et des excuses. Au sein des détritus et des malades. Vous vous dites que c’est celui-là et pas un autre. Ce mec qui ne manquera à personne, la pute de l'angle de la rue tracée par des milliers de pas défaitistes. L'enfant qui lorgne les miradors d'un air perdu, comme s'il ne savait pas vraiment comment tout ça a pu arriver. La lumière des torches danse autour de vous. Cette lueur est pour la victime, la flamme la rassure. Vous pourriez voir la proie dans le noir. Vous l’avez marquée. Vous pouvez la sentir.


L’impatience vous aiguise. Votre proie marche et vous la suivez. Parfois, vous la suivez dans les ombres, loin des rayons orange vif des torches indiscrètes. Parfois, vous la suivez sans vous cacher. Vos raisons et vos excuses vous encouragent à continuer. Vos pieds parcourent des sentiers de terre battue, des herbes hautes et sèches, du béton chaud et poussiéreux, les pavés mal joints d’une rue plus jeune que vous, les pierres lisses du sol du centre-ville.


Vous déglutissez fort, mais cette réaction n’est qu’un vestige d’une autre vie. Vous auriez l’eau à la bouche. Vos pieds sont très silencieux. Votre proie suspecte peut-être quelque chose, mais pas vous. Elle n’a aucune idée de ce que vous êtes. De ce que vous allez faire. Votre corps, mort mais vivant, ne réagit pas. Vous poursuivez votre traque. Vous suivez. Vous vous rapprochez.
Votre Soif est une bénédiction. C’est un don. Elle vous accordera le succès. Elle vous lie à votre proie. C’est celle-là et pas une autre.
La patience est récompensée par la réussite. La réussite se transforme en surprise. Vous sentez son cœur battre plus fort. La puanteur de la peur.
Vous êtes réel. Enfin. Elle voit qui vous êtes vraiment. Elle voit qu’elle est la proie et vous le prédateur. Elle voit qu’il est trop tard. Mais elle court quand même. Et vous la poursuivez. Si votre bouche pouvait saliver, vous baveriez. Vous pouvez au moins
rejeter la tête en arrière pour rire...

Saisir. Serrer. La bouche grande ouverte. Vous mordez fort. Les dents déchirent la peau, les muscles, les veines. Mou, dur,  moelleux, chaud. Vos crocs n’ont aucune retenue. La peur fait gicler un sang chaud et épais dans votre bouche. Il jaillit. Il veut quitter son corps. Du sang se répand à l’aveugle sur votre langue. Vous planez.

 

C’est plus passionné que le baiser le plus sensuel, plus délicieux que le mets le plus délicat, plus enivrant que le vin le plus
corsé, plus libérateur que le rite religieux le plus sacré. La Bête obtient ce qu’elle veut, et pourtant elle en redemande. Et il en revient. Il en jaillit. Il en coule si abondamment, comme une offrande qui vous est offerte. Toutes vos raisons et vos excuses s’évaporent. Pas besoin de vous justifier. Il n’y a ni jugement ni damnation. Seulement vous, votre bouche et le sang chaud. Seulement un corps pressé contre le vôtre, si proche, si généreux. Du sang. Votre bouche en est pleine. Et il en vient encore.

Tout ce que vous avez osé prendre vous a été donné. La chaleur vous inonde. Le sang en vous est frais. L’événement est frais.
Rien ne vous a été donné. Vous l’avez pris.
La Bête en vous est rassasiée. Mais elle en veut encore. Vous ne connaissez pas la satiété. Même lorsque votre corps ne peut
contenir plus de sang, elle en veut encore. Elle veut la destruction. Elle exige des réponses. Elle cherche une justification.
Vous voudriez tout dévorer sur votre passage, comme le faisaient les anciennes divinités. Les os se briseraient, la chair se déchirerait, le sang giclerait sur votre visage froid et animal. Des cris s’élèveraient dans le ciel puis tourneraient au gargouillement. Ils s’affaibliraient et se tairaient finalement sous votre terrible bouche.


L’apaisement vous fuit lorsque cette vérité vous apparaît, mêlée au sang revigorant. Votre figure est collante et vous vous léchez les lèvres. Et pourtant, vous en voulez encore. Ce n’est jamais assez. Les distractions de la politique, de la connaissance, du voyage, de la trahison, des amitiés et des vendettas ne suffisent jamais.


Vous vous mordez la lèvre. Vous goûtez le sang de quelqu’un d’autre. De quelque chose d’autre. De quelque chose de différent de vous. La victime était en vie. Maintenant, elle est morte. Et vous êtes seul. Vous vous refroidissez tandis que la Bête grogne pour en avoir juste un peu plus. Juste un de plus. Pour toujours. Si vous pouviez pleurer, les larmes couleraient de vos yeux.
Vous êtes un voleur qui prend ce qui n’est pas à lui. Vous êtes un meurtrier qui met fin à la vie de personnes sans méfiance. Vous êtes un menteur qui détourne des vérités et égare les esprits pour cacher son secret.

Vous êtes un Vampire.

Bienvenue à la Nouvelle Époque...

bottom of page